mégère apprivoisée

Publié le par Pascal Cabero

- « Etre naturel, est une pause très difficile à tenir… souffla Julie dans l’oreille de Mario… Viens sortons. Elle prit sa main et le tira vers la sortie.

- «  Mais pourquoi tu me dis ça ? cria Mario… »

S’extrayant de la mêlée, ils réussirent à atteindre l’air libre.

- «  C’est pas moi, c’est Oscar Wilde… Viens, j’ai quelque chose à te montrer… ».

 Elle l’entraîna par différents raccourcis dans les rues du patelin jusqu’à une porte massive. Une entrée dérobée. Elle sortit une clé tarabiscotée de sa poche, visiblement le coup était prémédité. Mario se laissa guider.

 - «  Voilà dit-elle ici c’est chez moi… »

 Ils étaient dans le théâtre. La porte donnait dans le local des décors. Il faisait sombre. Des fonds de scènes, de faux escaliers, un arbre de papier marouflé, des colonnes doriques en cartons pâte étaient entreposés pêle-mêle.

 – « Viens, suis-moi… ! »  Elle se déplaçait agile dans le capharnaüm. Ils arrivèrent sur la scène côté jardin, ils n’étaient éclairés que par les lumières diffuses des issues de secours. Mario heurta un énorme projecteur qui traînait par terre. « Aïe ! Merde ! » cria-t-il et le son de sa voix s’amplifia dans l’acoustique parfaite de la salle. Il sut en apprécier la qualité, il était, lui aussi, un peu de la partie.

 Julie courut dans un renfoncement à cour et se suspendit aux guindes. Le lourd rideau de velours s’écarta sur la salle. C’était magnifique cet endroit. Un silence majestueux occupait tout l’espace. Des poussières en suspension semblaient encore vibrer de la dernière représentation, des bravos du public. Mario fit un tour complet sur lui-même, s’enveloppa dans le parfum si particulier du théâtre. Odeurs d’ampoules électriques surchauffées, de plâtre, de papier mâché, de coulisses secrètes, de costumes mités, de maquillages qui semblaient transcender l’âme du lieu. Il y avait même une fosse d’orchestre. Mario descendit dans la salle, parcourut les travées et s’installa plein centre, face à la scène que son regard surplombait. Soudain une découpe ambre traça un cercle parfait sur le plateau. Dans le rayon de lumière, Julie apparut. Mais ce n’était pas elle. Elle était vêtue d’une ample robe cintrée qui descendait jusqu’aux pieds en riches broderies. Un large décolleté carré découvrait ses épaules. De ses coudes rehaussés de manches bouffantes pendait une longue étoffe. Ses cheveux étaient pris dans un serre-tête sculpté, une larme de nacre perlait sur son front. Son visage surtout rendait la métamorphose totale. Tendu, dramatique, habité.

Et la voix s’élança.

 “ What, will you not suffer me ? Nay, now I see

 She is your treasure, she must have a husband,

  I must dance bare-foot on her wedding day  

  And for your love to her lead apes in hell...

 Talk not to me, I will go sit and weep,

 Till I can find occasion of revenge...”

 

 « Quoi, prendrez-vous toujours parti contre moi ?

 Oui, oui, je le vois bien, elle est votre trésor ;

 À elle il lui faut un mari ; et moi

 au prix de cet amour que vous lui prodiguez,

  je danserai pieds nus le jour de ses noces

 et j’irai garder les singes en enfer…

 Ne me parlez pas. Je me retire pour pleurer

 jusqu’à ce que sonne l’heure de ma vengeance… »

 Elle avait déclamé comme si sa vie en dépendait. Mario resta abasourdi, bouche bée, jusqu’à ce que, dans la bulle de silence, les derniers échos du dernier vers finissent de frémir, jusqu’à ce que les poings serrés de Julie se décrispent enfin. Alors il applaudit aussi fort qu’il le put.

 Elle salua plusieurs fois, sourit et chuchota :

 - « Viens Maddow, je vais t’apprendre à aimer Shakespeare. » Mario Maddor rejoignit le cercle lumineux sans se presser.

 Au loin ils entendirent les cloches de la cathédrale sonner à la volée. Aussitôt relayées par les explosions d’un feu d’artifice tout proche.

 - « Bonne Année ma chère… » Murmura-t-il et il lui prit la bouche.

 Ils n’eurent pas assez de bras pour s’étreindre, pas assez d’ongles pour s’agripper, pas assez de lèvres pour imprimer dans leurs cous des baisers affamés. Comme des noyés qui remontent à la surface, ils se respiraient à grandes goulées. Leurs esprits avaient trop longtemps ignoré les signaux, leurs corps maintenant se réclamaient d’urgence. Animal.  D’un geste sec, il écarta le décolleté du costume qui se déchira en un craquement net. Les seins jaillirent. Lourds et tendus, chatoyants dans la lumière chaude. Ils fixèrent un instant Mario dans les yeux. Il plongea. Et sa bouche se changea en ventouse experte. Gloutonne, se jouant des rondeurs, des volumes, des centres de gravité, elle investit la gorge comme on happe un gâteau. Sa langue insatiable et jouisseuse se délectait de chairs. Elle traçait des chemins d’escargot qui convergeaient jusqu’aux mamelons dardés qui piaffaient, électriques. Ses mains étaient celles d’un aveugle, tendres et précises. Elles vérifiaient les lois de l’attraction universelle. Ses canines mordaient.

 - « Enfin, enfin… » gémissait-elle. Ce n’était pas un ton de reproche. Elle dégustait son trouble. Puis en retenant sa nuque dans la paume de la main, il l’embrassa. Avec fièvre, avec ferveur, comme pour célébrer un rite initiatique, comme on ouvre une dernière porte vers un cosmos d’extase, comme on a une vision sur un autel de culte.

 - « Maintenant je vais te parler dans ma langue… N’aie pas peur… » lui dit-il en français ; et il disparut sous les plis de la robe.

 Ses doigts étaient des pinceaux fins sur de la porcelaine. Il caressa les cuisses en retenant son souffle. Il ôta la culotte libérant une toison de mousse laissée à l’abandon. Il y fourra le nez. La fille se raidit. Quelques appréhensions ? Il caressa ses hanches, le sourire de ses fesses comme on dit des flatteries pour mieux amadouer. Sa langue avec une circonspection humide se posa sur la fleur et butina un gentil bonjour. La tête renversée à boire dans ce calice, avec une tendre autorité, Mario prit tout son temps. Au rythme chaud de sa respiration, il mena doucement le plaisir jusqu’à destination. En échange, une note parfaite, modula harmonieuse. Un Ahhh, ou un Ohhh… ? Le chant universel d’une gamme divine, venant du fond des temps, elle prit son envol sur le rebord des lèvres. Le ventre de Julie n’était plus que secousses. Mario quitta le coin de paradis qu’il venait de louer. Il contourna la fille qu’il cassa vers l’avant. Prestement il expulsa un membre recourbé, endolori par l’ardeur et, retroussant le jupon comme à une autre époque, il planta victorieux l’homme dans la femme.

 Et quand tout fut fini, quelques secondes d’éternité s’égrenèrent encore. Mario récupéra l’usage de son cerveau. Julie « hot legs » Barrett était d’accord sur tout. Mégère apprivoisée… Alors, tous les deux auraient pu le jurer, ils entendirent les applaudissements crépiter des fauteuils silencieux, les hourras, les bravos d’un public invisible en standing ovation, les approbations des critiques unanimes et même les rappels. Ils éclatèrent de rire, renvoyant des mercis.     

Publié dans Nouvelles

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